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Épisode 28 : Alexandre et les Jeux Olympiques : d’Albertville 1992 à Paris 2024

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Je suis très heureuse d’accueillir Alexandre Morteau, Docteur en sciences politiques depuis décembre 2022.

Avec lui nous discuterons de sa thèse intitulée : « Le consensus olympique : la construction politique et administrative des grands évènements sportifs internationaux, d’Albertville 1992 à Paris 2024 ».

Mon invité a réalisé son doctorat sous la direction du professeur Emmanuel Henry et de Choukri Hmed à l’Université Paris Dauphine. 

Résumé

Depuis 1896, les Jeux Olympiques cadencent sur un rythme quadriennal le calendrier international. L’évènement a atteint au fil des décennies des proportions colossales et son organisation requière plusieurs milliards d’euros en provenance d’acteurs privés et de la puissance publique. Il suscite pourtant une âpre concurrence internationale pour obtenir le privilège d’accueillir la flamme et les cinq anneaux : des coalitions composées de ce que nous appelons des « entrepreneurs de l’olympisme » construisent des projets de candidature et déboursent plusieurs millions d’euros pour emporter les suffrages des membres votants du Comité International Olympique (CIO).


Le 23 juin 2015, l’une de ces coalitions annonce officiellement la candidature de Paris à l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) de 2024, après avoir échoué pour les éditions de 1992, 2008 et 2012. Le projet, estimé à environ 6,8 milliards d’euros, est soutenu par tous les niveaux de gouvernement (État, ville, région Île-de-France, département de Seine-Saint-Denis) et l’ensemble des forces politiques et syndicales du pays.

Paris 2024 est présenté comme désirable, « évident », voire « nécessaire » pour affirmer le rang de la France sur la scène internationale, développer les territoires franciliens et en renforcer l’attractivité. C’est précisément l’affichage de cet unanimisme, rare dans le champ politique, que cette thèse choisit d’interroger.

La croissance des Jeux Olympiques suscite depuis une vingtaine d’années de nombreuses critiques journalistiques, académiques et militantes au point que des mouvements sociaux construisent localement les candidatures comme des problèmes publics. Conséquences environnementales, gentrification des quartiers populaires, approche sécuritaire de l’espace public, corruption des dirigeants sportifs, absence de consultation démocratique et endettement public sont les griefs les plus associés à l’évènement olympique.

Depuis 2013, ce régime de critiques rencontre des succès significatifs en Europe (Munich 2022, Hambourg, Rome et Budapest 2024, Sion 2026, etc.) et en Amérique du Nord (Boston 2024, Calgary 2026) puisque, suite à des mobilisations collectives et/ou des référendums locaux, plusieurs coalitions de candidature ont renoncé à leur projet.

Ces défections récurrentes montrent que le « consensus olympique» n’a rien d’évident. Au contraire, les entrepreneurs de l’olympisme doivent produire un travail actif de définition de la désirabilité de l’évènement pour en maintenir la fiction.

Alexandre a décidé de montrer dans sa thèse comment se fabrique le consensus politique et de s’interroger sur ce qui « fait tenir » cette institution olympique face aux tentatives de contre-cadrage et de mise en problème par des mouvements sociaux. Il démontrera que le consensus n’est pas synonyme d’unanimité (donc d’absence d’opposition) mais plutôt une opération visant à obtenir le consentement des réticents.

Les Jeux Olympiques ont suscité une abondante littérature, principalement en langue anglaise dans des disciplines comme l’économie, le management, ou la géographie. Regroupés sous l’étiquette relativement imprécise et homogénéisante d’Olympic Studies, ces travaux apportent de nombreux éclairages sur les conséquences économiques et sociales de la compétition : chiffrage des coûts et dépassements budgétaires, mesure des résultats économiques (sur l’emploi, le tourisme, l’industrie du sport, etc.), impacts sur le tissu urbain, évolution de l’image de la ville ou du pays, amélioration de la pratique sportive, couverture médiatique, etc. Le corpus est caractérisé par une approche évaluative pour répondre à une question sous-jacente plutôt simple – mais non dénuée d’intérêt : les entrepreneurs de l’olympisme ont-ils tenu leurs promesses ? La discussion scientifique d’une part importante de ces travaux s’attache ainsi à mesurer l’avènement de « l’héritage », catégorie centrale du discours olympique devenue norme d’organisation des JO.

Les conclusions produites par cette foisonnante littérature permettent de relativiser la portée des résultats revendiqués par les organisateurs et les pouvoirs publics, et le caractère positif de « l’héritage olympique» : en ce sens, les Olympic Studies participent d’une approche critique de l’évènement olympique.

Néanmoins, la lecture de ces travaux laisse un goût d’inachevé au chercheur formé à la sociologie et la science politique françaises. Les enquêtes sont souvent descriptives, normatives, et méthodologiquement limitées à une analyse des documents officiels.


La science politique dispose d’outils théoriques pour résoudre une partie de ces écueils mais, contrairement à d’autres disciplines, elle se révèle peu diserte à l’égard des évènements sportifs. De manière générale, le sport et ses différents enjeux restent largement secondaires, voire méprisés, par les sciences sociales du politique qui, par ce dédain, reproduisent consciemment ou non les revendications historiquement construites par les acteurs sportifs de leur activité comme espace autonome vis-à-vis du champ politique. La thèse d’Alexandre entend apporter une contribution au renouvellement de l’analyse du spectacle sportif en abordant la construction politique et administrative du consensus olympique à partir de trois entrées qui sont autant de thématiques de science politique : la mise en administration des grands évènements sportifs, le rôle des acteurs économiques internationaux dans le système sportif, et le champ du pouvoir.

Le consensus apparait ainsi comme un ensemble d’arrangements institutionnels, de compromis, entre groupes issus de ces différents espaces sociaux qui s’appuient sur le « mythe d’une gouvernance dépolitisée» pour promouvoir leurs agendas respectifs à travers le projet olympique.

Pour aller plus loin :

Jeux Olympiques en chiffres

Sommaire

  • 00 : 00 : Présentation
  • 7.10 : l’idée de consensus olympique (rhétorique) : le catéchisme olympique : quand ça se fissure. mémoire avant la thèse
  • 8.28 : trouver un sujet de thèse : sociologie des élites du sport international & construire son sujet
  • 14.12 problématique

  • 16.57 : comment un pays candidate il au JO ? monter le dossier technique et faire campagne
  • 21.06 : profil des membres du CIO – ceux qui vont voter lors du choix final & lobbying : une candidature à 60 millions d’euros
  • 23.50 : Albertville 19992 vs Paris 2024
  • 24.26 Albertville : le trio Lépine Barnier Killy
  • 31.09 Paris candidature pour les JO d’été 1992 : tenir son rang, échec et cohabitation
  • 37.58 multiplications d’échecs, les autres candidatures : Paris 2008, Paris 2012 ( à 4 voix d’écarts ) et l’humiliation
  • 44.50 : construction d’un problème publique autour de cette candidature : trouver des responsables ( les politiques et les hauts fonctionnaires) : Mettre les sportifs en 1ère ligne
  • 49.39 : Annecy 2018 : nouvelle claque
  • 52.33 : Préparer la candidature pour Paris 2024 :  Programme électoral de la campagne Hollande, Le rapport Kénéo, Création du comité français pour le sport international
  • 1.02.38 : lancement de la candidature Paris 2024 et attribution en demie teinte
  • 1.10 .55 : quid du consensus : argent, environnement et «  être à la hauteur »
  • 1.17.01 : combien ça coute Paris 2024 de 6.8 à 8.8 milliard au dernier pointage ( 07/2023)- vers 10 milliards ?
  • 1.20.42 : Est-ce que ça rapporte : pas de consensus chez les économistes et études d’impacts
  • 1.26.28 : Le concept d’héritage des JO
  • 01.31.34 : Comment se sont passées tes recherches – découverte des archives et la suite
  • 1.36.03 : Conseils et sujets à creuser pour aller plus loin

Bibliographie

Une vue panoptique de la sociologie du sport :

  • Jean-Michel FAURE et Charles SUAUD, La raison des sports : sociologie d’une pratique singulière et universelle, Paris, Raisons d’agir, coll. « Cours et travaux », 2015.

Jeux Olympiques, généralités :

  • Michaël ATTALI (dir.), Une histoire globale des sports olympiques, Atlande, Neuilly-sur-Seine, 2024.
  • Nicolas BANCEL (dir.), Une histoire mondiale de l’olympisme: 1896-2024, Atlande, Neuilly-sur-Seine, coll. « Penser le sport », 2023.
  • J. L. CHAPPELET et Brenda KÜBLER-MABBOT, The International Olympic Committee and the Olympic system: the governance of world sport, Routledge, London ; New York, coll. « Routledge global institutions », 2008.
  • Sylvain DUFRAISSE, Une histoire sportive de la Guerre froide, Nouveau monde éditions, Paris, 2023.

Pierre de Coubertin et le mythe de l’apolitisme du sport :

  • Patrick CLASTRES, « Inventer une élite : Pierre de Coubertin et la « chevalerie sportive » », Revue Française d’Histoire des Idées Politiques, vol. 22, n°2, 2005, p. 51.
  • Jacques DEFRANCE, « La politique de l’apolitisme. Sur l’autonomisation du champ sportif », Politix, vol. 13, n°50, 2000, p. 13‑27.
  • John J. MACALOON, This great symbol: Pierre de Coubertin and the origins of the modern Olympic Games, University of Chicago Press, Chicago, 1981.

Sociologie critique des Jeux Olympiques et ethnographie des opposants aux JO :

  • Helen LENSKYJ et Stephen WAGG, The Palgrave Handbook of Olympic Studies., Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2012.
  • Jules BOYKOFF, Activism and the Olympics: dissent at the games in Vancouver and London, New Brunswick, New Jersey, Rutgers University Press, coll. « Critical issues in sport and society », 2014.
  • John LAUERMANN, « The declining appeal of mega-events in entrepreneurial cities: From Los Angeles 1984 to Los Angeles 2028 », Environment and Planning C: Politics and Space, no6, vol. 40, 2022, p. 1203‑1218.

Une revue apportant des éclairages récents sur le thème (classique) JO et politique :

  • « Jeux olympiques, enjeux politiques» : Numéro coordonné par Valentin GUERY et Igor MARTINACHE , Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, no158, 2023, p. 13‑19.

Pour déconstruire la rhétorique managériale de « l’héritage olympique » :

  • François LE YONDRE, « Sociologie de l’héritage ou ce que la notion d’héritage fait à la sociologie », Héritage social d’un évènement sportif : enjeux contemporains et analyses scientifiques, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Des sociétés », 2021, p. 53‑68.
  • John J.MACALOON , « Legacy’ as Managerial/Magical Discourse in Contemporary Olympic Affairs », The International Journal of the History of Sport, vol. 25, n°14, décembre 2008, p. 2060‑2071.

Sur l’introduction des logiques commerciales, et ce qu’elles font aux logiques de pouvoir dans le système olympique :

  • Robert Knight BARNEY, Stephen R. WENN et Scott G. MARTYN, Selling the five rings: the International Olympic Committee and the rise of Olympic commercialism, Salt Lake City, University of Utah Press, 2002.
  • Vyv SIMSON et Andrew JENNINGS, Main basse sur les J.O., Flammarion, Paris, 1992.

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