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Épisode 24 : Clara Vivier et les fanfares

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Je suis très heureuse d’accueillir Clara Vivier, pour parler de son mémoire de Master 1, soutenu en aout 2023 : « Au-delà des partitions sociales : Enquête sur une pratique musicale amateur à travers la comparaison entre deux fanfares de la région lyonnaise »

Clara a réalisé ce travail sous la direction de Philippe Corcuff dans le cadre du Séminaire d’initiation à la recherche « Cultures populaires » de Sciences Po Lyon.

Pour son mémoire, Clara à obtenu le prix spécial du jury ex aequo dans le cadre du prix du mémoire 2023 de l’IEP de Lyon.

Définitions

  • Fanfare
    La “fanfare” contient différentes significations, mais nous retiendrons celle-ci : c’est un orchestre composé d’instruments à cuivres. Historiquement, plusieurs caractéristiques distinguent la fanfare des autres orchestres à vent. Celle-ci est composée d’instruments à vent et de percussions joués par des amateurs. De plus, son but premier est de jouer à l’extérieur. Enfin, c’est une musique sur laquelle les musiciens défilent. On verra que ces particularités sont changeantes dans le temps. De plus, le terme “fanfare” est la dénomination que nous avons choisie ici pour désigner diverses formes d’ensembles instrumentaux : les batteries-fanfares, les harmonies-fanfares, les petites harmonies, … La composition de ces orchestres varie légèrement.
  • Culture populaire VS culture dominante
    La culture populaire se définit en opposition à la culture dominante. Pour savoir ce qu’est une culture populaire, il faut donc comprendre ce qui définit la culture dominante.
    Il y a deux formes de culture dominante :
    Premièrement, une culture peut dominer par le nombre et la popularité. Ce n’est pas le cas de la fanfare, qui ne bénéficie ni de l’adhésion d’un large public, ni d’un pouvoir économique pouvant y être associé.
    Deuxièmement, une culture peut dominer par la rareté et la noblesse. Elle n’est accessible qu’à une certaine élite, car elle requiert généralement une “intense éducation familiale” et une “inculcation scolaire de longue durée”. La fanfare ne correspond pas non plus à cette forme de culture dominante, car ce n’est pas une “musique ‘sérieuse” dont la qualité artistique serait attestée par la critique savante et la valeur sociale conférée par la rareté distinctive”.

La frontière entre la “culture dominante” et la “culture populaire” est parfois poreuse. Une culture peut être associée à une classe sociale particulière, par les valeurs et les traditions qu’elle dégage et perpétue entre les générations. Cependant, au fil du temps, une même culture peut produire des usages sociaux divers et être appropriée par des classes sociales différentes. Avec cela, les normes qui régissent l’appartenance (ou non) d’une pratique à la culture dominante varient aussi. En effet, la domination d’une culture n’a rien d’une situation figée et éternelle, en démontre le mélange des genres croissant entre “légitime” et “illégitime ».

  • Autonomie culturelle
    Autonomie vis-à-vis des processus de hiérarchisation culturelle de l’ordre dominant, par la création par exemple d’un horizon symbolique composé de valeurs et de références qui sont différentes de celles de la culture dominante.

Résumé

Comparaison de deux fanfares :

Une fanfare très traditionnelle, plutôt implantée dans un espace rural : La batterie-fanfare de Saint-Georges-d’Espéranche située en Isère.

Une fanfare moderne et urbaine : La fanfare des pavés, située à Lyon dans le quartier de la Guillotière .
La problématique de Clara, dans son mémoire, tourne autour de trois axes : l’autonomie, les usages sociaux et les rapports aux normes dominantes.

Est analysé alors le degré d’autonomie culturelle de cette pratique musicale, les différents usages sociaux en fonction notamment des classes sociales concernées par cette activité et la manière dont les musiciens réceptionnent les normes dominantes.
Clara a cherché à observer les déplacements sociaux qui concernent cette pratique. Historiquement, c’est une pratique qui concernait les classes populaires, est-ce encore le cas ? Les déplacements sociaux peuvent faire évoluer le degré d’autonomie culturelle de cette pratique et le rapport des musiciens aux normes dominantes.
Malgré ces déplacements sociaux, des aspects traditionnels des fanfares persistent-ils ? Ces aspects traditionnels peuvent provenir d’un héritage direct des fanfares traditionnels, ou peuvent être liés à un processus de réappropriation culturelle.

La fanfare, une pratique musicale populaire ?

Chapitre 1 : Une musique dominée ?


La fanfare est certes une « culture populaire » dans le sens où elle ne correspond pas aux critères de la culture dominante. Elle tient cependant aussi son caractère « populaire » de son origine, historiquement reliée aux classes populaires. Ainsi, il convient de faire un bref rappel historique, afin d’éclaircir sa position dominée dans l’espace des hiérarchies culturelles.

I. A l’origine, une culture imposée


A. Une origine militaire

On peut dater les débuts de la fanfare au lendemain de la Révolution française. Celle-ci naît aux côtés des Gardes Françaises sous la forme d’un orchestre régimentaire comportant des tambours, des fifres et 16 instruments composés de cuivres et d’anches. A cette période, la musique est vue comme essentielle, car elle est mobilisatrice et inspire le patriotisme. On s’en sert dans le cadre des célébrations nationales. L’Institut National de la Musique est créé en 1792 afin de former ces musiciens militaires. Les premières musiques civiles apparaissent sur la lancée de ces ensembles musicaux. Formées d’anciens conscrits qui ont appris la musique à l’armée, les fanfares vont garder cette culture militaire par le costume, la composition instrumentale, la discipline et les cérémonies.


B. Le mouvement orphéonique
Pendant la période de la Restauration, il va y avoir un nouvel idéal d’éducation, avec le désir de “vulgariser l’instruction dans la masse”.
Cette instruction musicale massive qui prend place au XIXème siècle répond à des visées strictement moralisatrices de socialisation, de discipline et de promotion du civisme. Les fanfares permettent « la canalisation des loisirs des classes populaires dans un moule paramilitaire et divertissant ». Ces sociétés musicales s’imposent donc implicitement aux classes populaires, dans le but de réduire leurs potentielles résistances face à l’ordre établi.


C. Les fanfares ouvrières
Parallèlement, des fanfares sont créées dans les usines. Si elles peuvent parfois émaner de la demande des ouvriers à leurs patrons, ces derniers en tirent aussi profit. En effet, ils y voient le moyen d’obtenir une image de marque et d’éviter la colère sociale. Les moments de répétition, durant lesquels les discussions politiques sont interdites, permettent de réduire les occasions pour les ouvriers de se retrouver dans des réunions à motifs contestataires. Ainsi, la fanfare est utilisée comme instrument de paix sociale et de domination de la classe ouvrière.
Ces propos sont toutefois à nuancer, car des mouvances politiques émergent assez tôt dans les fanfares. L’exemple des fanfares ouvrières nous permet cependant de montrer comment cette pratique a pu être utilisée comme outil de domination et de contrôle du loisir des classes populaires. Son origine militaire a permis de diffuser un idéal de discipline profitant aux classes dominantes.

II. Une copie simplifiée des orchestres classiques ?


Un des objectifs du mouvement orphéonique était de diffuser une culture musicale dans le peuple, de faire « découvrir les grands airs du répertoire savant ». Le répertoire des fanfares reprenait donc les morceaux de la musique dominante. Cependant, les visées de cette pratique étant civiques plus qu’artistiques, celui-ci était souvent adapté de manière simplificatrice.


A. Analyse du répertoire
Dans le répertoire, on retrouve surtout des transcriptions, plutôt que des créations musicales propres. Cependant, dans notre enquête, on observe que la transcription n’est pas vue négativement. Ce n’est pas qu’une faible imitation de la musique savante. La transcription est décrite par les musiciens interrogés comme étant une pratique artistique, par laquelle la fanfare se singularise vis-à-vis des musiques “commerciales”.


B. Analyse de la composition des orchestres
Bernard Lehmann fait la sociologie des instruments de l’orchestre. Il montre qu’il y a une polarisation entre les instruments à cordes et les instruments à vent. Les instruments à vent sont historiquement reliés à l’armée. Les instruments à cordes et le chant étaient plutôt associés à la musique artistique et religieuse.
Cette dualité correspond aussi à une opposition dans le recrutement. Du côté des instruments à vents, le recrutement était populaire et ne nécessitait pas de compétences musicales préalables. On retrouve un recrutement plus élitiste pour les instruments à cordes.
Les instruments typiques et militaires des fanfares sont plutôt dévalués. Cependant, on observe que les fanfares actuelles vont parfois au-delà de leurs formations instrumentales traditionnelles, avec l’ajout de nouveaux instruments. Les musiciens des fanfares interrogés revendiquent une certaine forme de liberté artistique et réussissent à l’exprimer, malgré la relégation originelle de leurs pratiques.

III. Les musiciens face à la hiérarchie culturelle


Comment les musiciens perçoivent-ils la légitimité de leur pratique ?
Pour être symboliquement efficace, la hiérarchisation culturelle doit être connue et intériorisée par ceux auxquels elle s’applique. Si les musiciens ne connaissent pas les critères de ce système de classement, ils ne peuvent pas ressentir de jugement et se dévaloriser vis-à-vis de la culture dominante. Ils sont alors symboliquement autonomes.
Plusieurs critères, que l’on retrouve dans la fanfare, favorisent l’autonomie culturelle. C’est une pratique qui se caractérise par son recrutement de proximité, ce qui la protège des jugements extérieurs.
On retrouve ce recrutement de proximité surtout dans la fanfare rurale étudiée.
De plus, les pratiques musicales sont moins souvent référées au modèle culturel légitime que l’écriture littéraire ou le théâtre.
Grâce à cela, les musiciens des fanfares sont moins touchés par les jugements de la culture légitime, et s’y réfèrent peu.


A. Le monde des fanfares
Les fanfares ont leurs propres références. Répertoire, institutions (les fédérations), qui sont propres aux fanfares.
De plus, au vu de la faible diffusion de la culture des fanfares, il y a donc une méconnaissance de ce phénomène de la part des personnes qui n’appartiennent pas à ce milieu. Les jugements extérieurs sont ainsi principalement sur le mode du préjugé, ils ne sont pas vécus comme légitimes, car ils proviennent de l’ignorance du monde extérieur. Ainsi, ils ne poussent pas les enquêtés à se dévaluer vis-à-vis de leurs pratiques. Au contraire, on retrouve plutôt un sentiment de fierté.


B. Une volonté de se distinguer ?
On peut expliquer cette volonté de distinction à travers l’origine sociale des musiciens. Les enquêtés sont tous issus de couches moyennes. Afin d’acquérir de la reconnaissance et du statut par le biais de leur capital culturel élevé, ils cherchent à s’approprier « les signes distinctifs que sont les biens ou les pratiques classés ou classants ». En exerçant une pratique associée à la culture populaire, les musiciens veulent montrer ici leurs « goûts et savoir-faire distinctifs » , afin d’éviter le déclassement culturel.
Dans notre enquête, on remarque la volonté de la Fanfare des Pavés (fanfare urbaine), de se distinguer des références traditionnelles liées aux fanfares

Chapitre 2 – La position des pratiquants dans l’espace social


Nous interrogerons dans ce chapitre la relation entre la position de la fanfare dans les hiérarchies culturelles, et la position des pratiquants dans l’espace social. Trouve-t-on une relation d’homologie, conforme en cela à la thèse bourdieusienne selon laquelle les goûts et les pratiques culturelles sont liés au milieu social d’appartenance ?

I. Un contexte qui ne favorise plus la reproduction de cette pratique au sein des classes populaires


La plupart des conditions permettant la reproduction de cette pratique au sein des classes populaires est remise en cause par un ensemble de transformations sociales, économiques et culturelles.

A. Un processus de dépaysannisation
Déclin numérique des agriculteurs –> Les fanfares perdent une catégorie traditionnelle de leur recrutement.
Prolongement de la scolarisation des jeunes générations et ramassages scolaires se développent, ce qui permet aux enfants de paysans d’être pris en charge et socialisés par des institutions extérieures au groupe villageois. Ces derniers s’ouvrent alors sur d’autres univers culturels, d’autres loisirs possibles et d’autres styles de vie.

B. Une hétérogénéité sociale
On assiste à la venue de nouvelles personnes dans l’espace rural, extérieures au monde villageois. Ces personnes sont porteuses de cultures et modes de vie différents. La fanfare va donc être concurrencée par des pratiques venant d’un monde extérieur au sien.

C. Des changements dans le monde du travail
Dans les années 1980, le travail se précarise. Les statuts précaires augmentent : contrat à durée déterminée, intérim, stages et apprentissages, temps partiel contraint. De plus, le chômage de masse s’est installé depuis les années 1970. Ces changements induisent une invalidation sociale d’une partie de la jeunesse rurale, qui ne s’engage donc plus dans les pratiques culturelles amateurs.
En outre, les transformations dans le monde du travail vont bousculer les valeurs traditionnelles propres à ces espaces. Le chômage et la gestion fluide et individualisée du monde du travail ont entraîné une perte de sens collective. La jeunesse ne se reconnaît plus dans les valeurs défendues par leurs parents (travail, communauté, appartenance), auxquelles elle préfère des valeurs plus individualistes. Celles-ci sont contraires aux valeurs traditionnelles de la fanfare et ce changement de paradigme aura des conséquences sur son recrutement.
Enfin, les emplois actuels évoluent vers une mobilité croissante. Le lieu de travail tend à se dissocier du lieu de résidence, et la probabilité d’un déménagement pour le travail ou les études s’accroît. Les fanfares implantées dans des espaces ruraux voient ainsi leurs jeunes musiciens partir. C’est ce qu’on voit dans la batterie-fanfare de Saint-Georges-d’Espéranche.

D. Le passage par une école de musique, une contrainte économique
Traditionnellement, les musiciens apprenaient sur le tas, sans passer par une école de musique. Aujourd’hui, ce n’est presque plus le cas, même dans les fanfares traditionnelles. Le recrutement des fanfares devient donc plus coûteux, car il nécessite des cours de musique et l’achat d’instruments.

II. Des fanfares aux origines sociales différentes


Si beaucoup de fanfares ont subi les changements décrits ci-dessus, d’autres n’en ont pas été touchés. En effet, ces bouleversements concernent les fanfares traditionnelles aux origines populaires. D’autres fanfares sont nées dans des contextes différents et ne sont pas issues du mouvement orphéonique et militaire. Elles concernent de nouvelles catégories de personnes. Dans notre cas, la batterie-fanfare de Saint-Georges-d’Espéranche a bel et bien subi des bouleversements dans son recrutement. La Fanfare des Pavés est quant à elle née dans un tout autre contexte.

A. Des fanfares nées dans des contextes divers
Nombre de fanfares sont nées en dehors du cadre traditionnel et ne concernent pas les classes populaires, par exemple : les fanfares étudiantes.

B. La fanfare : un nouveau loisir “bobo” ?
Le terme “bobo” à nuancer, terme qui n’est pas sociologique. Les sociologues parlent surtout de “gentrifieurs”.
Si les comportements et styles de vie des musiciens de La Fanfare des Pavés peuvent être qualifiés de « bobo » dans le langage courant, nous ferons attention de ne pas les figer dans une catégorie sociale homogène et abstraite, bien qu’ils se caractérisent par leur appartenance à une certaine catégorie de la classe moyenne. Ils sont par exemple nombreux à exercer des professions ayant un lien avec le public (professeurs, métiers du soin et du social…), ce qui est un trait typique de ces couches moyennes.
S’il faut prendre en compte la diversité des trajectoires sociales des musiciens, leur appartenance commune à la « nouvelle couche moyenne » peut expliquer certains de leurs comportements vis-à-vis de cette pratique musicale. Commençons tout d’abord par saisir leur attirance pour ce loisir particulier. Pourquoi des musiciens issus de couches moyennes ont-ils fait le choix d’une culture appartenant originellement aux classes populaires, dans laquelle ils n’ont pas grandi ? Bien que les motivations de chacun divergent, il n’est pas étonnant de retrouver une attirance de ces classes moyennes pour la fanfare –> Attirance pour la proximité sociale, la grande convivialité, le mélange social, pratique accessible à tous…

Chapitre 3 – La fin des traditions populaires ?


Nous avons vu que la pratique des fanfares, même traditionnelles, concernait de moins en moins les classes populaires. Que reste-t-il alors des valeurs traditionnellement reliées à celles-ci ?
Quelles sont ces valeurs traditionnelles ? « Le localisme et l’attachement au lieu, les relations de proximité et l’entre soi, l’intégration de la pratique dans les autres dimensions de la vie sociale ».

I. Une vie sociale dense

A. L’importance de la convivialité
Convivialité importante observée dans les deux fanfares.

B. La présence d’un sentiment communautaire
Sentiment communautaire observé dans les deux fanfares. Forte conscience collective qui s’exprime par des symboles objectivables. Les deux fanfares sont par exemple costumées, costumes militaires pour l’une et costumes tziganes pour l’autre. De plus, la pratique musicale est pour la plupart d’entre eux envisagée que de manière collective.
Lien fort entre les musiciens. On observe un côté familial.
Ainsi, nous avons observé que les rites de convivialité et les aspects communautaires se perpétuent dans les deux fanfares. Elles ont, certes, quelques différences (aspect familial plus présent à Saint-Georges-d’Espéranche…), elles accordent cependant une importance similaire à la vie sociale de leurs ensembles. Dans le cas de La Fraternelle, les valeurs sociales ont été transmises aux musiciens par les origines populaires de la batterie-fanfare. La Fanfare des Pavés, née bien après, semble plutôt s’être réappropriée ses traditions, car comme nous l’avons vu supra, ses membres sont issus d’une certaine catégorie de la classe moyenne qui se retrouve dans la proximité sociale spécifique aux fanfares.

II. Un passé qui divise


Analyse du rapport au militaire dans les deux fanfares.

Conclusion de la première partie : Dans cette première partie, nous avons cherché à analyser les différentes correspondances que l’on pouvait établir entre la fanfare et la notion de culture populaire. D’une part, nous avons rappelé l’origine imposée de cette pratique dont les classes dominantes ont insidieusement tiré les ficelles. Ses caractéristiques musicales la placent de surcroît en bas dans les hiérarchies culturelles. Ce constat provoque des réactions différenciées en fonction des musiciens : fierté ou au contraire volonté de se distinguer du monde des fanfares. Nous avons ensuite questionné la place des classes populaires dans cette pratique. Il nous est apparu que malgré cet ancrage populaire, celle-ci avait subi de profonds changements internes allant dans le sens d’une élévation sociale de ses musiciens. Malgré ces bouleversements, certaines valeurs traditionnelles perdurent dans les fanfares, qu’elles soient ancrées dans le temps ou réappropriées.

Une pratique en évolution


Chapitre 1 – La problématique actuelle du recrutement des fanfares
I. De nouvelles manières de s’engager

A. Une baisse générale de l’engagement
Depuis quelques années, les fanfares sont face à une baisse générale de l’engagement des musiciens. Les entretiens avec les membres de La Fraternelle font ressortir une baisse de leurs effectifs. Ce problème semble être commun à la plupart des fanfares traditionnelles, en témoigne la forte entraide qu’entretiennent ces ensembles musicaux.

B. Une vision renouvelée de l’engagement
Traditionnellement, les membres des fanfares donnent une grande importance à l’association en tant que telle. En adhérant à la fanfare, ils ne font pas seulement de la musique, ils donnent aussi de leur temps pour faire perdurer cette association. Ce fort investissement que demande la pratique de la fanfare semble ne plus concorder avec les évolutions actuelles des visions de l’engagement : multiplication de l’offre de loisirs, importance de l’épanouissement personnel …

C. Le principe de fidélité de la fanfare
Principe qui a perduré dans le temps. On observe que malgré la forte mobilité sociale, la multiplicité des engagements associatifs et la présence d’un emploi du temps combinant parfois vie professionnelle et vie de famille, les musiciens des fanfares ont cette particularité de rester fidèles à leur groupe.

II. La jeune génération, un défi ?

A. Une pratique qui vieillit
Nous constatons qu’il y a peu d’enfants et d’adolescents au sein des deux fanfares observées. La moyenne d’âge de celles-ci tourne autour de quarante ans.
Cette faible proportion de jeunes entre en contradiction avec le recrutement de la majorité des fanfares, qui découle des écoles de musique. Cela peut s’expliquer d’un point de vue pratique, car certains instruments des fanfares comme les instruments d’ordonnance sont de moins en moins enseignés dans les écoles de musique.
En outre, cette faible attirance de la jeune génération pour cette activité concorde avec les nouvelles manières de s’engager de celle-ci développées supra. Elle s’explique aussi par les nombreux préjugés auxquels est confrontée cette pratique, qui revêt souvent une image désuète et très traditionnelle.

B. Un recrutement différencié
Alors que dans les fanfares traditionnelles les pratiquants s’engagent car ils ont incorporé une tradition familiale dès leur plus jeune âge, les fanfares plus récentes comme La Fanfare des Pavés ne dépendent plus de ce recrutement familial et ne pâtissent donc pas de l’absence progressive de la jeune génération dans les fanfares.

Chapitre 2 – Une pratique qui s’ouvre sur l’extérieur
I. Des partenariats pluriels


Relations avec écoles de musiques, écoles, associations socio-culturelles et musicales, fédérations, pouvoirs publics.


II. Un processus de légitimation culturelle
Ces partenariats pluriels semblent converger vers un processus de légitimation culturelle. Certes, il y a des principes de légitimités pluriels et alternatifs. Cependant, il existe une certaine manière de hiérarchiser la culture qui domine, car elle est transmise à l’école et donc plus ou moins conscientisée par l’ensemble des individus. Cette hiérarchie institutionnalisée découle notamment de goûts et de classements historiques. Nous nous appuierons ici sur ce principe de hiérarchie culturelle pour parler des normes qui tendent à légitimer la pratique des fanfares.
Ainsi, la mise en place de partenariats extérieurs s’est accompagnée de la diffusion de normes culturelles légitimes. Si cela a provoqué des changements au sein de la batterie-fanfare La Fraternelle, le champ culturel légitime semble structurer La Fanfare des Pavés depuis sa création. Celle-ci engage par exemple dès le début des musiciens professionnels. Plusieurs raisons expliquent la plus grande proximité de cette fanfare à la culture légitime. Premièrement, celle-ci s’est créée à partir du projet de musiciens professionnels, dont les parcours professionnels et associatifs leur ont permis « de pratiquer d’autres registres musicaux ou de côtoyer des institutions incarnant la légitimité culturelle ». Ayant une forte conscience du champ culturel légitime, les créateurs de la fanfare l’ont donc conformée à celui-ci, afin qu’elle soit reconnue à l’extérieur comme une culture légitime. De plus, l’appartenance sociale des musiciens amateurs explique le fait qu’ils aient été attirés par une fanfare se distinguant, grâce à ses critères légitimes, des fanfares traditionnelles.

Conclusion de la deuxième partie : Dans cette deuxième partie, nous avons pointé les caractéristiques de l’engagement des musiciens dans cette pratique, qui impliquent dévouement et fidélité. Si ces valeurs peuvent paraître dépassées, on observe qu’elles perdurent encore aujourd’hui dans la fanfare traditionnelle autant que dans la fanfare plus actuelle. Ces ensembles musicaux attirent cependant de moins en moins de jeunes. Ce constat touche particulièrement les fanfares traditionnelles, qui dépendent de ces jeunes générations du fait de leur recrutement très familial. L’évolution des fanfares est aussi à mettre en parallèle avec les partenariats croissants qu’elles établissent avec l’extérieur, notamment pour répondre à ce problème de recrutement. On remarque que ces institutions extérieures leur apportent des modèles culturels légitimes, en promouvant par exemple leur professionnalisation. Si ce processus de légitimation s’accompagne de changements internes dans cette pratique (élévation du niveau, présence de professionnels…), elle ne se situe pas en contradiction avec les valeurs traditionnelles des fanfares. L’action désintéressée de certains professionnels en est un bon exemple.

Une pluralité de rapports aux normes


Chapitre 1 – De nouveaux rapports à la pratique musicale


Nous l’avons vu, les appartenances sociales des musiciens correspondent de moins en moins aux origines populaires avec lesquelles sont nées les fanfares. Parallèlement, le niveau de formation musicale des pratiquants a considérablement augmenté. Il faut souligner aussi la large féminisation de ce loisir, enclenchée dans les années. La combinaison de ces facteurs a « ébranlé de l’intérieur » l’univers musical de cette pratique. Si certains aspects de cette sociabilité populaire perdurent à travers les traits conviviaux et communautaires développés supra, les musiciens des fanfares actuelles ont développé de nouveaux rapports à la pratique musicale.

I. La performance musicale comme facteur motivant
Dans les entretiens, notion de progrès et de challenge. On remarque un investissement des musiciens sur le plan de la performance musicale. Dans l’ouvrage Les mondes de l’harmonie, les auteurs remarquent que l’importance donnée à la musicalité déséquilibre le modèle traditionnel « socio-musical, au profit d’une orientation exclusivement musicale ». Cependant, cet esthétisme est-il forcément contraire aux différentes formes de sociabilités ?


II. La qualité esthétique au service de la sociabilité ?
L’attention renforcée portée à l’esthétisme favorise les relations sociales tournées vers l’extérieur, vers le public.

III. La pratique musicale comme échappatoire
Nous verrons ici que l’exigence musicale, liée au rapprochement des fanfares avec le modèle culturel légitime, n’empêche pas la plupart des musiciens de percevoir leur pratique comme un moyen de détente.
Si la performance musicale est pour beaucoup prise au sérieux, les enquêtés considèrent tous la fanfare comme une activité plutôt ludique que sérieuse.
Ainsi, l’élévation du niveau musical et la plus grande importance portée à l’esthétisme de la pratique n’impactent pas négativement la sociabilité des fanfares observée lors de notre enquête. En effet, cette pratique musicale reste une activité divertissante et conviviale pour les enquêtés. De plus, nous avons vu que cet esthétisme contribue à nourrir une autre forme de sociabilité, tournée vers les relations extérieures avec le public.


Chapitre 2 – L’éthique des fanfares, créatrice de rapports alternatifs aux normes de la culture musicale dominante

I. L’éthique traditionnelle des fanfares
L’éthique traditionnelle des fanfares est fondée sur des valeurs utopiques d’harmonie entre les individus, qui découlent notamment du mouvement orphéonique décrit supra. Celui-ci s’exprime par le mélange social intergénérationnel et la solidarité entre les musiciens.
Ainsi, les valeurs traditionnelles de la fanfare permettent la création de rapports alternatifs aux normes de la culture légitime, notamment à travers leur capacité à accueillir tout le monde, reflétant ainsi « une vision du monde social où ‘chacun doit trouver sa place’ ».


II. Des musiciens porteurs de valeurs renouvelées


Si les musiciens intègrent les normes traditionnelles de leur pratique, nous verrons ici qu’ils sont eux-mêmes porteurs de nouvelles valeurs.


A. Du mélange intergénérationnel au multiculturalisme
Les membres de La Fanfare des Pavés, du fait de leur appartenance sociale, expriment leur volonté de mélange social à travers la promotion d’un multiculturalisme. Choix d’un répertoire contenant des musiques issues de régions du monde diverses : Balkans, Maghreb… Le choeur de femmes chante ainsi dans plusieurs langues différentes. Cette promotion d’un multiculturalisme va de-pair avec l’importance de certaines valeurs comme la tolérance chez les musiciens.

B. D’un entre-soi à une volonté “d’aller-vers”
L’ « entre-soi » qui caractérise traditionnellement les fanfares du fait de leur caractère local et familial tend à disparaître au profit d’une logique d’ouverture. Celle-ci s’illustre notamment à travers les nouvelles manières d’intégration des fanfares actuelles.

Conclusion de la troisième partie : Dans cette dernière partie, nous avons montré que de nouveaux rapports à la pratique musicale émergent dans les fanfares. L’exigence musicale contribue à stimuler l’investissement des musiciens, ainsi qu’à favoriser une certaine forme de sociabilité tournée vers l’extérieur. Celle-ci n’empêche cependant pas la pratique d’être considérée comme une activité ludique pour la plupart des pratiquants. De plus, nous avons exposé les rapports alternatifs aux normes de la culture musicale dominante dans ces ensembles musicaux, à travers les valeurs d’entraide. On retrouve cette valorisation de la solidarité dans des formes renouvelées par les musiciens des fanfares actuelles.

Pour aller plus loin

Bibliographie

  • Vincent Dubois , Jean-Matthieu Meon, Emmanuel Pierru, Les mondes de l’harmonie : Enquête sur une pratique musicale amateur, Paris, La Dispute, 2009.
  • Claude Grignon et Jean-Claude Passeron, Le Savant et le populaire. Misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature, Paris, Le Seuil., 1989.
  • Philippe Gumplowicz, Les travaux d’Orphée : Deux siècles de pratique musicale amateur en France (1820-2000) : Harmonies, chorales, fanfares, Paris, Aubier Montaigne, 2001.
  • Bernard Lehmann, L’orchestre dans tous ses éclats: Ethnographie des formations symphoniques, Paris, la Découverte, Poche / Sciences humaines et sociales, 2005, [1ère éd. 2002].
  • Marie-Hélène Lechien et Yasmine Siblot, « ‘Eux/nous/ils’ ? Sociabilités et contacts sociaux en milieu populaire », Sociologie, 30 mars 2019, vol. 10/1.
  • Bernard Lahire, La culture des individus : dissonances culturelles et distinction de soi, Paris, La Découverte-poche, 2006.
  • Fabrice Raffin, « La France en fanfare, histoire d’une réappropriation culturelle », The Conversation, 4 mai 2017, http://theconversation.com/la-france-en-fanfare-histoire-dune- reappropriation-culturelle-76820.

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