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Épisode 47 : Philippine et Michelle Obama

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Je suis très heureuse d’accueillir Philippine Fauchier, doctorante en Civilisation Américaine, pour parler de sa thèse en cours depuis septembre 2022 : « La communication de la Première dame Michelle Obama ( 2007 -2017) ».

Philippine réalise sa thèse à l’Université Paul Valéry à Montpellier sous la direction de Monica Michlin, Professeure en Etudes Américaines contemporaines et Sébastien Mort, Maitre de conférences en culture et sociétés des Etats-Unis (Université de Lorraine).


Résumé

Quel est le rôle d’une Première dame ? Et pourquoi cette fonction, en apparence purement protocolaire, concentre-t-elle autant d’attentes et de symboles ?
Officiellement, il n’existe pas de définition juridique pour ce rôle. Pourtant, depuis des décennies, les épouses des présidents américains incarnent une image idéale : celle d’une femme élégante, dévouée, mais discrète sur le terrain politique. Elles se voient confier des missions jugées « féminines » – nutrition, éducation, santé – tout en évitant soigneusement de paraître influentes. D’Eleanor Roosevelt à Nancy Reagan, en passant par Hillary Clinton, chacune a trouvé sa manière de naviguer dans ces contraintes et de marquer son époque.

Mais avec Michelle Obama, tout change. Première femme noire à occuper ce rôle, issue d’un milieu modeste mais diplômée des meilleures universités, elle ne correspond pas au modèle historique : femme blanche, hétérosexuelle, au foyer. Son simple visage à la Maison Blanche est une rupture. Dès la campagne de 2008, son image cristallise les tensions raciales et sexistes qui traversent la société américaine. Ses prises de parole franches, sa force de caractère et son ancrage dans une identité afro-américaine assumée dérangent. Très vite, les attaques fusent : trop « ghetto » pour certains, trop élitiste pour d’autres, trop ambitieuse, trop agressive, pas assez douce. Une image piégée entre deux extrêmes, dans un pays polarisé.

Comment alors passer de la caricature de la Angry Black woman au symbole consensuel d’unité nationale ? La réponse tient dans une stratégie de communication millimétrée.
Il s’agit de rester authentique tout en atténuant ce qui peut heurter une Amérique blanche encore pétrie de préjugés. Adoucir son image sans renoncer à ses valeurs. Mettre en avant son rôle de mère aimante, ses racines populaires et sa proximité avec « l’Américain moyen ». Et surtout, occuper l’espace public en restant « apolitique » – tout en s’engageant sur des causes transversales. Ainsi naissent des initiatives emblématiques :

  • Le potager de la Maison Blanche, pour promouvoir une alimentation saine
  • Let’s Move, pour lutter contre l’obésité infantile
  • Joining Forces, pour soutenir les familles de militaires

Ces campagnes façonnent l’image d’une Première dame accessible, bienveillante, investie, mais sans ambition politique affichée.

Derrière cette image lisse se cachent pourtant des tensions permanentes : comment incarner une féminité « acceptable » sans se renier ? Comment affirmer son identité afro-américaine tout en restant « rassembleuse » ? Même la question de ses cheveux devient un enjeu politique. Porter ses cheveux naturels ? Trop subversif. Les lisser ? Trop « conforme ». Chaque détail compte dans ce rôle où tout est scruté, disséqué, interprété.

Ce travail d’équilibriste explique pourquoi Michelle Obama fascine encore aujourd’hui, bien au-delà des frontières américaines. Son parcours raconte l’histoire d’une femme confrontée aux contraintes d’un rôle façonné par des normes raciales et genrées, et qui réussit à transformer ces contraintes en force symbolique. Elle a redéfini, non pas les règles, mais la manière d’y survivre et d’y briller.

Dans cet épisode, nous revenons sur :

  • Les stéréotypes raciaux et sexistes auxquels Michelle Obama a dû faire face
  • L’évolution du rôle de Première dame à travers l’histoire américaine
  • Les stratégies pour éviter le scandale et rester crédible
  • La manière dont son image a été façonnée dans une Amérique polarisée
  • Pourquoi Michelle Obama reste une figure iconique et politique, même après la Maison Blanche

Philippine interroge ici la fabrique d’une image publique dans une démocratie médiatique, la persistance des normes raciales et de genre au sommet du pouvoir, et la manière dont une femme a dû inventer – ou plutôt réinventer – son rôle, en équilibre constant entre attentes contradictoires et pressions historiques.


Chapitrage

0:00 – Introduction

Philippine raconte son parcours avant la thèse : un mémoire sur la représentation de la ville dans Sex and the City, le film Manhattan et la série Westworld. Puis, elle explique comment elle a justifié ce travail très différent de son sujet de thèse, une diversité qui peut parfois desservir pour obtenir des financements.

08:46 – Le rôle des Premières dames aux États-Unis

Toujours associé à des missions dites « féminines » comme la santé, l’éducation, la pauvreté. Une fonction perçue comme une extension des valeurs domestiques, où il ne faut pas paraître trop impliquée en politique. Hillary Clinton a repoussé les limites en participant activement à la réforme de la santé et en ayant un bureau dans les deux ailes de la Maison Blanche, ce qui a marqué une rupture.

12:35 – Discussion sur la géographie de la Maison Blanche

les Premières dames sont traditionnellement installées dans l’East Wing, là où se trouvent les services sociaux et l’organisation des dîners et galas. Certaines comparent ces espaces à une prison. Les traditions comme la décoration de Noël ou la vaisselle illustrent ce rôle domestique. Jill Biden est la première à continuer à travailler tout en occupant cette fonction.

17:26 – La figure traditionnelle de la Première dame

Femme blanche, issue de la classe moyenne ou supérieure, hétérosexuelle, femme au foyer et hôtesse parfaite. Michelle Obama casse ce moule : femme noire, diplômée, issue d’un milieu modeste, avec un rôle symbolique inédit. Pour les femmes noires, le modèle de la femme au foyer n’a jamais existé, car historiquement elles ont toujours travaillé, et avant cela été réduites en esclavage.

21:07 – Retour sur le  parcours de Michelle Obama et ses débuts

Pendant la campagne, tout semble poser problème. Trop proche du « ghetto » ou trop élitiste, ses prises de parole sont détournées, notamment par Fox News. Elle est parfois perçue comme une « terroriste » ou comme quelqu’un qui n’aime pas son pays, ce qui entraîne une mise à distance avec la presse et un lissage de ses propos par l’équipe Obama.

26:35 – Pourquoi Michelle Obama n’avait pas, au départ, d’équipe de communication? 

Considérée comme « authentique », elle fait campagne seule, sans media training, tout en travaillant et s’occupant des enfants. Ce n’est que tardivement qu’elle bénéficie d’un encadrement, avec plus de budget et une stratégie claire.

30:15 – Stéréotypes raciaux

«Angry Black Woman» (femme noire en colère et castratrice), « mammy » (figure maternelle sacrificielle), « welfare queen » (femme noire vivant des aides sociales), ou encore la séductrice hypersexualisée. Ces clichés pèsent lourd dans la perception de Michelle Obama.

32:52 – Juin 2008 marque un tournant

Changement vestimentaire avec des looks plus sobres, lissage du discours, mise en avant du rôle maternel et patriotique. Elle adopte des initiatives comme le potager bio ou la campagne « Let’s Move » contre l’obésité infantile, toujours sous un angle non partisan.

41:00 –  Ses projets de Première Dame

« Let’s Move » mobilise plusieurs agences fédérales pour améliorer l’alimentation et l’activité physique des enfants, en ciblant discrètement les populations défavorisées. « Joining Forces » soutient les familles de militaires, un sujet stratégique pour séduire un électorat républicain.

47:26 – Qui décide de la communication de Michelle Obama ?

Les échanges se font entre plusieurs cercles, mais toujours en cohérence avec la Maison Blanche. Elle ne prend jamais de position politique forte, sauf une fois en 2014 contre les armes à feu, après discussion avec l’administration.

50:00 – Les controverses autour de son apparence

Le « sleeve gate » sur ses bras musclés, la question de ses cheveux afro qu’elle a dû lisser pour éviter toute polémique, car les coiffures naturelles sont encore perçues comme militantes. Une logistique importante et des justifications financières accompagnent cette décision.

57:21 – Réception de son image

Reproches surtout par des féministes blanches qui la jugent trop traditionnelle. Mais la presse noire l’a plutôt saluée, voyant en elle une famille qui renverse les stéréotypes. Dans une Amérique polarisée, les Obama doivent rester irréprochables, chaque initiative étant scrutée sous un prisme racial.

1:07:44 – Culture populaire

Michelle Obama s’appuie sur la culture populaire pour faire passer ses messages : talk-shows, magazines lifestyle, cuisine, sport. Son livre American Grown mêle recettes, patriotisme et unité nationale, un outil de communication avant les élections. Cette stratégie fonctionne : son image devient plus consensuelle, proche de celle de Laura Bush, même si la couleur de peau change la perception.

1:14:42 –Image internationale

Pourquoi Michelle Obama fascine à l’international : son charisme, sa crédibilité, son absence de scandale et sa capacité à incarner un cadre de compréhension de la femme noire aux États-Unis. Elle est aujourd’hui l’oratrice la plus demandée du Parti démocrate, bien qu’elle refuse toute candidature.

1:21:10 – La recherche universitaire

Deux premières années en parallèle avec un poste de professeure, un terrain d’entretiens de six semaines, un travail à la Bibliothèque du Congrès, et la prise de contact avec tout l’organigramme de la présidence Obama. Philippine ouvre la réflexion sur la représentation des femmes noires en politique et la communication des épouses d’élus en France.


Ressources complémentaires

Grand Public

  • Becoming de Michelle Obama (2018), lu par elle-même en livre audio pour la version en anglais.
  • Le film Jackie (2016) de Pablo Larraín.
  • La BD La Communication Politique. L’art de séduire pour convaincre. de Christian Delporte et Terreur Graphique. La petite Bédéthèque des Savoirs, 2017.
  • L’épisode “Michelle Obama” du podcast Your Mama’s Kitchen, 30 août 2023.
  • La série de podcasts The White House 1600 Sessions de The White House Historical Association.

Académique :

  • Brown, Nadia E. & Danielle Casarez Lemi. Sister Style: The Politics of Appearance for Black Women Political Elites. Oxford University Press, 2021.
  • Harris, Duchess. Black Feminist Politics from Kennedy to Trump. Palgrave Macmillan, 2019.
  • Wright, Lauren. On Behalf of the President: Presidential Spouses and White House Communications Strategy Today. Praeger, 2016.
  • Kumar, Martha Joynt & Michael Grossman. Portraying the President: The White House and the News Media. Johns Hopkins University Press, 1981.
  •  Chadwick, Andrew. The Hybrid Media System. Politics and Power. Oxford Studies in Digital Politics, 2013.

Articles

  • Handau, Megan, & Evelyn M. Simien. « The Cult of First Ladyhood: Controlling Images of White Womanhood in the Role of the First Lady ». Politics & Gender, vol. 15, no 03, sept. 2019, pp. 484‑513.
  • Fu, Shu, & Meg Savel. « Policy without Partisanship: The Direct Appeals of First Ladies ». Presidential Studies Quarterly, vol. 50, no 4, déc. 2020, pp. 736‑61.

Extraits

 

 


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