Épisode 44 : Sophie – Infrastructures numériques: l’Australie et les États insulaires du Pacifique.
Résumé
Dans ce nouvel épisode du Dazibao, je reçois Sophie Hamel, doctorante en géographie, pour parler de sa thèse en cours consacrée aux politiques australiennes d’aide au développement numérique en Océanie. Un sujet qui pourrait sembler technique au premier abord… et qui révèle en réalité une bataille géopolitique feutrée mais intense.
Depuis quelques années, l’Australie investit massivement dans les infrastructures numériques de ses voisins insulaires du Pacifique — câbles sous-marins, réseaux 5G, cybersécurité. Derrière ces investissements, il y a un enjeu, et pas des moindre : contenir l’influence grandissante de la Chine dans la région, car Pékin aussi déploie ses propres projets numériques, dans le cadre de ses « Nouvelles Routes de la soie ». La Chine offre ainsi aux États insulaires du Pacifique des alternatives aux partenariats historiques.
L’aide au développement devient ici un levier stratégique — un moyen pour Canberra d’orienter les choix technologiques de ses voisins, de sécuriser ses propres infrastructures, et de défendre ses intérêts dans l’Indo-Pacifique.
Avec clarté et nuance, Sophie nous emmène dans cette géopolitique des câbles et des ondes, sans perdre de vue un point essentiel : les États insulaires du Pacifique ne sont pas de simples terrains d’influence. Ils négocient, résistent, choisissent leurs partenaires — parfois la Chine, parfois l’Australie — et cherchent à préserver leur souveraineté dans un monde de plus en plus interconnecté.
Un épisode passionnant sur les jeux de pouvoir contemporains, les continuités postcoloniales, les nouvelles formes de dépendance et les marges de manœuvre des «petits » États dans la zone d’influence d’un « grand ».
Sophie réalise son doctorat sous la direction des professeures Isabelle Saint-Mézard et Frédérick Douzet au sein de l’Institut Français de Géopolitique, à Paris 8. Elle est également chercheuse associée au projet de recherche Géode- Géopolitique de la datasphère.
Chapitrage
- 0 min 00 – Pourquoi la géographie, et pourquoi ce sujet de thèse ?
Mémoire sur l’industrie des terres rares en Australie : comment l’Australie développe cette industrie au profit de ses alliés pour réduire les dépendances à la Chine.
Expérience comme ingénieure de recherche dans un laboratoire avant la thèse : découverte du travail de recherche, des méthodologies et des outils. - 8 min 11 – Problématique
Comment l’Australie utilise ses politiques d’aide au développement numérique en Océanie pour défendre ses propres intérêts stratégiques, au niveau national mais aussi dans la région indo-pacifique.
Comment influence-t-elle les choix technologiques des îles du Pacifique ? Et comment ces dernières protègent-elles leur souveraineté ? - 10 min 36 – Les relations sino-australiennes : des tensions vers la stabilisation
Relations diplomatiques établies depuis 1972, bonnes jusque vers 2010 : exportation de matières premières (charbon, fer) et de produits agricoles (vin, homard).
À partir de 2015 : dégradation des relations, montée de la perception de la Chine comme menace.
Les médias relaient des soupçons d’ingérence chinoise en politique intérieure australienne, de cyberattaques, etc.
Développement par la Chine des « Nouvelles Routes de la soie », avec une forte présence en Océanie : infrastructures numériques financées, création de dépendances. Exemple du port de Darwin : les Territoires du Nord souhaitaient des investissements chinois, mais veto du gouvernement fédéral.
Crainte d’une prédation : contrôle accru des investissements étrangers, lois contre l’espionnage, exclusion de facto de fournisseurs chinois pour les réseaux 5G. - 19 min 15 – Renforcement des alliances dans l’Indo-Pacifique
Relance du Dialogue quadrilatéral pour la sécurité (Australie, USA, Inde, Japon) en 2017.
Réalignement sur les États-Unis, peur d’un abandon stratégique.
Croissance de l’importance stratégique des infrastructures numériques. - 22 min 27 – Relations avec les États insulaires du Pacifique
L’Australie parlait autrefois d’« arc d’instabilité », aujourd’hui de « famille du Pacifique » : changement de narratif, mais les objectifs stratégiques restent.
Tensions persistantes liées à l’héritage colonial : comportements perçus comme paternalistes.
L’Australie reste le principal partenaire économique et de développement des États insulaires. - 27 min 14 – La Chine et les États insulaires du Pacifique
Positionnement non-aligné : les îles refusent de se voir imposer un partenaire.
Les acteurs chinois sont présents depuis les années 2000, avec beaucoup d’investissements et une diaspora bien implantée.
La Chine est devenue le 2ᵉ partenaire de développement en 2016, offrant une alternative aux partenaires historiques, et donc une plus grande autonomie.
Perception globalement positive de la Chine dans la région. - 30 min 15 – Quelles infrastructures numériques ?
Travail sur les câbles sous-marins : certains États refusent d’être reliés via des câbles chinois.
Exemple du Coral Sea Cable (Papouasie-Nouvelle-Guinée et Îles Salomon vers Sydney) : contre-projet australien.
Aide au développement mobilisée pour proposer des alternatives à la Chine.
Réseaux mobiles 3G/4G/5G, câbles gouvernementaux : enjeux d’espionnage à tous les niveaux. - 40 min 30 – Stratégies australiennes pour influencer les États insulaires
Diplomatie informelle : sensibilisation et prévention.
Accords de partenariat en cybersécurité.
Clauses spécifiques dans les contrats de câbles sous-marins (non publiées) contre les « vendeurs à haut risque ».
Réforme du Telecommunication Act pour pouvoir retoquer les projets de câbles au nom de la sécurité.
Volet économique : sélection préférentielle d’entreprises australiennes → logique d’« aide boomerang ». - 47 min 53 – Les réseaux mobiles
Historiquement peu financés, priorité sur les câbles sous-marins, Aujourd’hui, l’Australie pousse pour un recentrage.
Les fournisseurs chinois dominent encore, mais les enjeux liés à la 5G changent la donne.
Exemple : Vodafone et Digicel Pacific, deux gros opérateurs.
En 2021, rumeur de rachat de Digicel par China Mobile → réactions australiennes.
Conception stratégique des îles : zone tampon, première ligne de défense.
Prêt de plus d’un milliard de dollars australiens à Telstra pour racheter Digicel.
Mélange entre intérêt politique et entreprise privée : Telstra doit rembourser un prêt d’une banque de développement australienne : red flags. - 1h06 – Réactions des États insulaires du Pacifique
Plutôt satisfaits de cette concurrence entre bailleurs : elle crée des opportunités / Mais aussi risque d’instrumentalisation.
Les Îles Salomon affichent une préférence pour la Chine. Fidji publie son premier livre blanc de politique étrangère en 2024.
Tonga, partenaire privilégié pour l’Australie sur les questions de sécurité. L’aide va là où les intérêts du financeur vont. - 1h11 – Impact d’un éventuel retour de Trump au pouvoir ?
Coupe des aides américaines au développement : impact potentiel important.
Exemple de la Micronésie : aide conditionnée à l’accès à des bases militaires.
US AID ( fonds de l’Agence des États-Unis pour le développement international) très présent, aujourd’hui en pause.
Retrait des États-Unis de l’Accord de Paris et de l’OMS sous Trump. Enjeux climatiques majeurs pour le Pacifique.
L’Australie ne pourra pas compenser seule un retrait américain. - 1h15 – Comment faire de la recherche dans une zone si vaste ?
Deux missions de six mois sur le terrain.
Bon accueil, beaucoup de réponses aux demandes d’entretien.
Enquête sur le foncier, propriété des câbles, etc. - 1h23 – Et après la thèse ?
Volonté d’opérationnaliser sa recherche. - 1h25 – Sujets encore à traiter
Fracture numérique au sein des États insulaires : inégalités d’accès, tensions locales sur les priorisations de territoires. - 1h28 – Derniers conseils
Ressources complémentaires
- Bueger Christian et Liebetrau Tobias, « Protecting hidden infrastructure: The security politics of the global submarine data cable network », Contemporary Security Policy, no 3, vol. 42, 2021, p. 391‑413.
- Douzet Frédérick et Desforges Alix, « Du cyberespace à la datasphère. Le nouveau front pionnier de la géographie », Réseaux, communication et territoires, no 32-1/2, 2018, p. 87‑108.
- Hamel Sophie, « Infrastructures Internet en Océanie : Perspectives des États insulaires face à la compétition technologique entre puissances Indo-Pacifique », Revue Défense Nationale, no 872, L’Océanie, un théâtre sécuritaire en Indo-Pacifique ?, 2024, p. 58‑64.
- Kabutaulaka Tarcisius, « Mapping the Blue Pacific in a Changing Regional Order », The China Alternative: Changing Regional Order in the Pacific Islands, ANU Press, 2021, p. 41‑70.
- Medcalf Rory, « Australia And China: understanding the reality check », Australian Journal of International Affairs, no 2, vol. 73, 2019, p. 109‑118.
- Merriden Varrall, « Australia’s Response to China in the Pacific: From Alert to Alarmed », The China Alternative: Changing Regional Order in the Pacific Islands, ANU Press., 2021.
- Petrikova Ivica, « Donors and the Peace-Security-Development Nexus », in Fen Osler Hampson, Alpaslan Özerdem et Jonathan Kent(dir.), Routledge handbook of peace, security, and development, Routledge, Taylor & Francis Group, London ; New York, 2020.
- Szadziewski Henryk, « A Search for Coherence: The Belt and Road Initiative in the Pacific Islands », The China Alternative: Changing Regional Order in the Pacific Islands, 2021, p. 283‑318.
- Wesley-Smith Terence, « A New Cold War? Implications for the Pacific Islands », The China Alternative, 2021, p. 71‑105.
- Wilkins Thomas, « U.S.-Japan-Australia Trilateralism: The Inner Core of Regional Order Building and Deterrence in the Indo-Pacific », Asia Policy, no 2, vol. 19, 2024, p. 159‑185.
Presse
- U.S. and China wage war beneath the waves – over internet cables – Reuters Special Report – Mars 2023
Extraits
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